AFRICA

L’excellence universitaire dans les grandes universités: mythe ou réalité?
La position de l’Afrique dans la sphère de l’enseignement supérieur peut être perçue à travers les performances des universités traditionnelles qui y prédominent. Par l’énoncé de leur mission et de leur vision, ces universités se caractérisent elles-mêmes comme des pôles d’excellence universitaire dont on attend qu’ils soient à la fois sélectifs et exhaustifs, qu’ils mènent des activités de recherche pointues et contribuent à la production de connaissances.Le projet HERANA (Higher Education Research and Advocacy Network in Africa, réseau de recherche et de promotion de l’enseignement supérieur en Afrique) a évalué les performances de huit grandes universités d’Afrique sous cet éclairage : les universités du Botswana, du Cap, de Dar es-Salaam (Tanzanie), Eduardo Mondlane (Mozambique), du Ghana, Makerere (Ouganda), de l’île Maurice et de Nairobi (Kenya).
HERANA a pour ambition d’harmoniser l’évaluation des performances dans un contexte qui combine la façon dont les universités se définissent elles-mêmes et les performances de leurs pairs en plus d’un ensemble convenu d’indicateurs.
La méthodologie adoptée s’appuyait sur les « fondamentaux universitaires » de ces établissements ainsi que les données empiriques que les universités ont générées dans le cadre du projet HERANA sur une période de 5 ans, de 2007 à 2011.
Afin d’établir un point de référence, elle reprenait la description de l’université traditionnelle en vigueur dans la politique sud-africaine et déterminait des objectifs et cibles appropriés en termes d’intrants et d’extrants pour les huit universités du projet. Cette évaluation tient compte de deux principes de base, à savoir :
• Toute évaluation de performances doit être relative à un ensemble d’objectifs et de cibles qu’une université est censée atteindre.
• Un système transnational de mesure des performances doit reposer sur des objectifs communs et sur un ensemble commun de cibles quantitatives en rapport avec ces objectifs.
Évaluer les performances par rapport aux buts
Ces principes apportent une perspective comparative multidimensionnelle aux institutions HERANA.
Ils montrent comment la nécessité d’évaluer les contraintes au regard des attentes encourage la discussion sur le rôle des grandes universités. Ils soulignent, en particulier, que l’on ne peut se contenter d’établir les buts de ces universités et qu’il est au contraire indispensable d’essayer d’évaluer leurs performances par rapport à ces buts.
Pour traiter ce point, le projet HERANA a choisi d’exploiter à la fois les buts intégrés aux fondamentaux universitaires de ces établissements et les données empiriques présentées par les institutions en plus des variables communément utilisées pour définir la production de connaissances.
Cette méthodologie tente de décomposer les intentions publiques (vision et mission) des grandes universités en plusieurs jeux d’objectifs d’intrants et d’extrants qui constituent des composants essentiels de leurs fondamentaux universitaires.
Par le biais d’un processus de consultation et d’étalonnage, le projet HERANA identifie cinq objectifs d’intrants et trois objectifs d’extrants avec des cibles définies, sur lesquelles les performances des grandes universités peuvent être évaluées.
Les grandes universités attirent de nombreux étudiants en sciences, ingénierie et technologies (SIT), affichent de nombreuses inscriptions en troisième cycle, des ratios étudiants/universitaire favorables et une proportion élevée d’universitaires titulaires d’un doctorat, et elles reçoivent d’importantes dotations pour la recherche, ce qui confirme leur statut de pôle d’excellence universitaire.
Proportionnellement, du côté des extrants, le nombre de diplômés en SIT et le volume produit de connaissances de haut niveau (soutenances de thèse de doctorat et publications de recherche) montrent des caractéristiques qui ne s’appliquent pas forcément aux autres institutions d’enseignement supérieur.
L’évaluation cherche à confirmer que la contribution exclusive de l’université au développement passe par les connaissances : soit par la transmission de savoirs (enseignement) à des individus qui une fois sortis de l’université contribuent à la société de diverses façons, soit par la production et la dissémination de connaissances (recherche et mise en œuvre) qui peuvent être appliquées aux problèmes sociétaux et à l’économie.
Évaluation divergente des classements mondiaux, mais trop sud-africaine ?
Le cadre conceptuel visant à comprendre ce qui influe sur la capacité d’une université à contribuer durablement au développement s’intéressait notamment à la nature et la solidité des activités de production de connaissances de cette université.
Cela constitue sans doute une divergence avec les indicateurs de performance qui prédominent dans les classements des universités ; ces derniers excluant de par leur nature même les grandes universités d’Afrique à l’exception de l’université du Cap. Par conséquent, les classements mondiaux ne fournissent pas de méthodologie ni de cibles adéquates pour l’amélioration des institutions.
Par ailleurs, le parti pris d’utiliser le système sud-africain comme point de référence du projet HERANA engendre des tensions dans l’interprétation des observations.
Les données empiriques montrent que seule l’université du Cap affiche de bonnes performances au regard des objectifs et cibles définis. Sur un ensemble différent d’objectifs et de cibles, les performances du Cap pourraient paraître plus faibles et celles des autres universités plus élevées.
Ces possibilités soulèvent plusieurs grandes questions :
• Les grandes universités du projet HERANA doivent-elles être évaluées suivant le principe qu’elles sont soumises aux mandats et cibles d’extrants de la catégorie des universités traditionnelles de l’Afrique du Sud ?
• Doivent-elles être placées dans d’autres catégories d’université ? Convient-il d’ajuster les objectifs et cibles d’intrants des grandes universités ? Le cas échéant, quels pourraient être ces objectifs et cibles ?
• Pour les catégories sud-africaines d’université généraliste et d’université technologique, le projet HERANA a proposé deux ensembles différents de mandats et de cibles d’extrants. Convient-il d’en faire autant pour les grandes universités ?
Les grandes universités se renforcent
Malgré les interrogations ci-dessus, l’évaluation, qui s’appuie sur cinq années de données pour les huit grandes universités, reflète un renforcement de ces établissements dans plusieurs domaines de connaissances de haut niveau. En voici quelques exemples :
• Les inscriptions en master dans les huit universités ont presque doublé sur la période de cinq ans. L’université de Nairobi a enregistré une hausse exceptionnelle de ces inscriptions, qui ont augmenté de 5 662 (soit 92 %) en 2011 par rapport à 2007, de même que l’université du Ghana (2 777 inscriptions en plus sur la période, soit +185 %).
• Les inscriptions en doctorat ont crû de 76 % de 2007 à 2011. Une forte hausse a été enregistrée à Makerere (+531, soit 1 659 %) en 2011 par rapport à 2007, à l’université du Ghana (+206, soit 187 %) et à celle de Nairobi (+193, soit 311 %) sur la même période.
• Le nombre total de diplômés en master sur les huit universités a augmenté de 4 020 en 2007 à 7 156 en 2011. Une hausse substantielle a été constatée à Nairobi, de 1 545 (156 %) entre 2007 et 2011, et à l’université du Ghana (+1 015, soit 176 %) sur la même période.
• Le nombre total de thèses de doctorat a augmenté, mais dans une moindre mesure. Sur les huit universités, il est passé de 241 en 2007 à 367 en 2011, soit une hausse de 126 (52 %) sur la période.
• Les chiffres des publications de recherche ont connu une hausse comparable à celle des thèses de doctorat. Les plus fortes hausses ont été constatées au Cap (+500, soit 49 % de 2007 à 2011), à Makerere (+149, soit 64 %) et à l’université du Ghana (+109, soit 179 %).
Un problème de personnels
D’un autre point de vue, la mise à disposition de personnels universitaires peut constituer l’un des facteurs contraignants auxquels les grandes universités devront faire face pour améliorer leur production de connaissances de haut niveau. Le projet a permis de constater que la croissance du nombre et des capacités des personnels universitaires n’a pas suivi le même rythme que les autres intrants. Par exemple :
• L’augmentation du nombre total d’universitaires permanents au sein des huit universités était de 1 465 (23 %) en 2011 par rapport à 2007. Cette hausse doit être comparée au nombre total d’inscriptions sur les huit universités, qui a augmenté de 40 % sur la même période. Il convient de noter que pour plus de la moitié, cette augmentation du nombre d’universitaires permanents concernait une seule université : Eduardo Mondlane.
• L’augmentation totale du nombre d’universitaires titulaires d’un doctorat dans les huit universités était de 682 (25 %) en 2011 par rapport à 2007. Le nombre total de doctorants nécessitant une supervision a augmenté de 1 125 (76 %) sur cette période. Là encore, l’essentiel de l’augmentation concernait Eduardo Mondlane.
• La proportion moyenne globale d’universitaires titulaires d’un doctorat sur les huit établissements est restée plus ou moins constante (42 % en 2007 et 43 % en 2011). Elle est comparable à la proportion globale d’universitaires de catégorie supérieure (professeurs titulaires, professeurs agrégés et maîtres de conférences), qui a toutefois accusé une baisse entre 2009 (46 %) et 2011 (44 %).
Provisoirement, donc, l’agrégation des grandes universités indique que les personnels universitaires permanents semblent sous-qualifiés ou pas assez expérimentés pour répondre aux critères rigoureux de la production de connaissances de haut niveau.
Conclusion
Le projet HERANA apporte un dispositif fiable, généré en interne, pour évaluer les performances des universités, notamment les objectifs annoncés publiquement par rapport aux résultats obtenus.
Le projet établit une plate-forme qui permet aux universités africaines d’entamer des discussions sur le mécanisme le plus approprié d’évaluation des performances et son application durable à diverses institutions.
Il reste toutefois à observer si l’enseignement généré aura un impact sur les capacités de production de connaissances de ces universités. Ou s’il convient de modifier les missions et visions mises en avant par ces établissements phares.
* Florence Nakayiwa est directrice du département Planification et développement de l’université Makerere en Ouganda.