AFRICA

L’Afrique doit soutenir l’émergence d’universités de recherche
De plus en plus de responsables politiques et autres grands acteurs socio-économiques internationaux s’accordent à dire que l’université est un facteur de croissance et de développement économiques. L’université joue en effet un rôle important dans la formation d’une force de travail qualifiée et compétente et dans la production de nouvelles connaissances.Ces deux apports sont essentiels pour créer de l’innovation et développer une économie nationale qui soit compétitive à l’échelle mondiale, comme le résument très bien Mmes Olsson et Cooke (2013) dans un rapport OCDE-IHERD [1] :
« Les plus grandes universités de recherche des pays industrialisés dominent en général les classements mondiaux. En revanche, leurs pendants dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires ont une mission plus importante dans la mesure où ces établissements sont le moteur du développement des connaissances à l’échelle locale et régionale et les leaders naturels de leurs propres systèmes universitaires en pleine évolution.
Comme ces systèmes gagnent en complexité et qu’il est plus important que jamais d’entretenir des réseaux de connaissance en faveur de la recherche, le succès de ces institutions est d’autant plus crucial pour la politique de développement nationale. »
Pourtant, toutes les universités ne sont pas des établissements de recherche. Ces derniers représentent en effet un pourcentage relativement faible du secteur de l’enseignement supérieur.
Aux États-Unis, le rapport est d’environ 5 % (220 universités de recherche dans un système qui compte plus de 4 000 établissements postsecondaires ; au Royaume-Uni, il atteint 25 % (25 universités de recherche sur 100 universités ; et en Chine, il est de 3 % (100 universités de recherche sur plus de 3 000 établissements dans tout le pays) (Philip Altbach, 2013) [2].
De nombreux pays en voie de développement de taille plus modeste comptent souvent une seule université de recherche, et beaucoup n’en ont aucune.
L’Afrique a-t-elle des universités de recherche ?
L’Afrique a-t-elle des universités de recherche ? Dans le contexte actuel des universités « d’envergure mondiale » et des classements, il est inévitable de commencer par examiner la position de l’Afrique.
Dans un récent article, Goolam Mohamedbhai (2012) [3], ancien secrétaire général de l’Association des universités africaines, montre que le classement académique des universités mondiales réalisé par l’université Jiao-Tong de Shanghai compte trois établissements africains parmi les 500 premiers : l’université du Cap (201-300), du Witwatersrand (301-400) et du KwaZulu-Natal (401-500).
Dans le classement du magazine Times Higher Education, l’université du Cap atteint la 103e place, Stellenbosch et Witwatersrand se classent entre la 251e et la 275e place, Alexandrie (Égypte) entre la 301e et la 400e place. Comme on peut le voir, sur les quatre universités d’Afrique figurant dans les 500 premières, trois sont sud-africaines.
Les preuves des performances de l’Afrique sur la scène universitaire et scientifique mondiale ne sont pas très encourageantes.
Dans une vaste étude des performances de l’Afrique dans les domaines des sciences et technologies, de l’ingénierie et des mathématiques, Paul Zeleza (2014) [4] montre que le continent reste au bas des classements pour les sciences, les technologies et l’innovation, et qu’il accuse un retard sur plusieurs indicateurs, comme la dépense intérieure brute en recherche et développement, le nombre de chercheurs et la part des publications scientifiques et brevets.
Si l’Afrique est très mal placée sur chaque indicateur, un point est toutefois positif : le nombre de publications en Afrique est passé de 11 776 en 2002 à 19 650 en 2008, soit une augmentation de 66,9 % quand le taux de croissance est de 34,5 % à l’échelle mondiale.
La part de l’Afrique dans les publications mondiales a augmenté de 1,6 % à 2,0 %, celle de l’Amérique latine de 3,8 % à 4,9 % et celle de l’Asie de 24,2 % à 30,7 %.
Concernant la proportion des chercheurs par région, la part des États-Unis a chuté de 25,2 % en 2002 à 22,7 % en 2007, celle de l’Asie a augmenté de 35,2 % à 38,2 % et celle de l’Amérique latine a enregistré une légère hausse, de 3,0 % à 3,8 %. La part de l’Afrique a quant à elle baissé, de 2,2 % à 2,1 %.
Les intentions face aux réalités
L’examen des missions affichées par huit universités phares du réseau HERANA (Higher Education Research and Advocacy Network in Africa, réseau de recherche et de promotion de l’enseignement supérieur en Afrique) permet de relever deux objectifs communs à ces huit institutions : s’engager dans des programmes de recherche et de bourses d’étude de haute qualité, et fournir des produits de la connaissance qui favorisent le développement national et régional.
Il s’agit des universités du Botswana, du Cap, de Dar es-Salaam (Tanzanie), Eduardo Mondlane (Mozambique), du Ghana, Makerere (Ouganda), de l’île Maurice et de Nairobi (Kenya).
Les données présentées au chapitre 2 d’un nouvel ouvrage intitulé Knowledge Production and Contradictory Functions in African Higher Education montrent que sur la période 2007-11, les universités du réseau HERANA ont intégré une faible proportion d’étudiants de troisième cycle (masters et doctorats) par rapport aux inscriptions en premier cycle [5].
En 2011, le premier cycle concentrait 88 % de toutes les inscriptions dans les huit universités, seule l’université du Cap se trouvant en dessous des 70 %.
De plus, les programmes de master semblent se concentrer sur les diplômes de professionnalisation, plutôt que sur la formation à la recherche de haut niveau. Par conséquent, peu de titulaires de master s’orientent vers les études doctorales.
De surcroît, à l’exception de l’université du Cap, le personnel de ces établissements compte une forte proportion de jeunes universitaires sous-qualifiés, soit un potentiel réduit de futurs chercheurs chevronnés. Dans de nombreux cas, les universitaires de haut niveau sont promus à des fonctions administratives plutôt qu’à des postes de recherche.
Il apparaît clairement que les universités africaines de premier plan ont besoin de davantage de postes d’enseignants et de directeurs de recherche titulaires de doctorats. L’étude montre que l’université du Cap est la seule de ce groupe à satisfaire les deux critères cités plus haut, et que l’université Makerere est celle qui s’en approche le plus.
Déficit de doctorats
Le manque de thèses de doctorat est particulièrement préoccupant.
En 2011, l’université du Cap a produit 163 thèses de doctorat, contre 204 sur l’ensemble des sept autres universités. Parmi elles, seule l’université de Makerere (56) et celle de Nairobi (61) étaient au-dessus de 50 thèses produites par an.
À titre de comparaison, en 2010, l’université de São Paulo au Brésil (avec près de 90 000 étudiants) a produit 8 200 publications sur le portail ISI Web of Science, alors que le système sud-africain dans son entier (près de 900 000 étudiants) en a produit seulement 9 000. Plus inquiétant encore, São Paulo a produit 2 400 doctorats contre seulement 1 420 pour l’Afrique du Sud.
Autre importance majeure entre l’université de São Paulo et, par exemple, celle du Cap (la mieux classée d’Afrique) : dans la première, 98 % des universitaires détiennent un doctorat, tandis qu’au Cap, ce taux tombe juste au-dessus de 60 %, tout en étant le plus élevé du continent.
Même si certains affirment, parfois avec virulence, le contraire, l’université reste la meilleure et dans bien des contextes la seule instance offrant une capacité autorenouvelable de production de connaissances, à savoir des thèses de doctorat fondées sur des recherches (Gibbons et al 1994) [6].
Les institutions auxiliaires de l’économie de la connaissance dépendent du dynamisme du secteur universitaire, dont elles tirent leur capacité autorenouvelable de génération de savoirs et sans lequel elles ne peuvent produire de nouvelles connaissances.
À l’heure actuelle, un environnement secondaire de production des savoirs prospère uniquement dans les pays dotés de filières doctorales stables, c’est-à-dire principalement les pays développés du Nord.
En général, les universités africaines ne renforcent pas leur capacité « autogénérative » et, par conséquent, peinent à véritablement contribuer soit à la création de nouvelles connaissances, soit à l’application de celles-ci.
En 2000, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU déclarait : « l’université doit devenir un instrument majeur du développement en Afrique pour le siècle qui s’ouvre » [7]. Ses propos ont inspiré les déclarations des ministres de l’Éducation de l’Union africaine à la Conférence mondiale de l’UNESCO en 2009 ainsi que celle, en 2014, de la présidente de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, lors du cinquantenaire de l’Union africaine, déclarations selon lesquelles les universités, et en particulier les universités de recherche, permettront à l’Afrique d’accroître sa prospérité au cours de 50 prochaines années (Makoni 2014) [8].
L’avenir immédiat
Au-delà des déclarations d’intention, qui constituent en elles-mêmes une véritable avancée dans le contexte africain, il est nécessaire de mieux identifier, études à l’appui, les caractéristiques des universités de recherche, en particulier dans le cadre des pays en développement. Et il importe, parallèlement, de bâtir l’infrastructure et l’environnement universitaire indispensables à l’émergence de telles institutions en Afrique.
Pour renforcer ces universités de recherche émergentes, les États devront stimuler les instances nationales chargées de la recherche et l’enseignement supérieur et adopter des politiques de différenciation qui récompensent les efforts de recherche.
Les universités devront revoir les proportions d’inscriptions entre premier et troisième cycles et les taux de personnels débutants et expérimentés, et adopter un programme beaucoup plus incitatif pour la formation doctorale et les travaux de recherche. Enfin, les donateurs devront radicalement repenser la façon dont ils soutiennent ce système.
* Nico Cloete est directeur du centre pour la transformation de l’enseignement supérieur (CHET) et coordonnateur du réseau de recherche et de promotion de l’enseignement supérieur en Afrique (HERANA) ; professeur extraordinaire à l’institut des études postscolaires de l’université du Cap-Occidental en Afrique du Sud ; professeur extraordinaire au pôle d’excellence DST-NRF en scientométrie et politique scientifique, technologique et d’innovation à l’université Stellenbosch en Afrique du Sud ; et chercheur honoraire à l’Université du Cap, en Afrique du Sud.
Références
1- Olsson Å. et Cooke N. (2013) « The Evolving Path for Strengthening Research and Innovation Policy for Development ». Paris : OCDE.
2- Altbach P. (2013) « Advancing the National and Global Knowledge Economy: The role of research universities in developing countries ». Studies in Higher Education, 38(3) : 316-330.
3- Mohamedbhai G. (2012) « Global Rankings of Universities: Where do African universities stand? » Article présenté lors de l’atelier PULSAR 2012, Johannesburg, 5-9 novembre 2012.
4- Zeleza P (2014) « The Development of STEM in Africa: Mobilizing the potential of the diaspora ». Article présenté à la troisième conférence annuelle « Effective US Strategy for African STEM Collaborations, Capacity Building and Diaspora Engagement ». Université du Michigan, 1-4 avril 2014.
5- Cloete N. et Maassen P. (2015) « Research Universities in Africa: An empirical overview of eight flagship universities ». in N. Cloete, P. Maassen et T. Bailey (éd.), Knowledge Production and Contradictory Functions in African Higher Education. Le Cap : African Minds.
6- Gibbons M., Limoges C., Nowotny H., Schwartzman S., Scott P. et Trow M. (1994) « The New Production of Knowledge: The dynamics of science and research in contemporary societies. » Londres : Sage.
7- Service de l’information de l’ONU (2000) « Information technology should be used to tap knowledge from greatest universities to bring learning to all , Kofi Annan says ». Communiqué de presse nº : UNIS/SG/2625, 3 août 2000.
8- Makoni M. (2014) « Research universities to shape Africa’s future ». University World News, numéro 317, 25 avril 2014.