AFRICA

Au-delà des intentions, la revitalisation de l’enseignement supérieur passe par la performance

Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, plusieurs voix influentes ont appelé à la « revitalisation » de l’université africaine, préconisant d’associer l’enseignement supérieur au développement. Ces appels ont débouché dans les années qui ont suivi sur une série d’initiatives de « revitalisation » et l’usage de ce terme persiste encore aujourd’hui, comme en témoigne l’intitulé du prochain Sommet sur l’enseignement supérieur en Afrique : « Revitaliser l’enseignement supérieur pour l’avenir de l’Afrique ».

Le dictionnaire anglophone Collins définit le verbe « revitaliser » ainsi : « insuffler une nouvelle vitalité dans, ramener à la vie, ranimer, revigorer, rajeunir, renouveler, restaurer, ressusciter ». Ce qui nous amène à nous interroger sur ce qui doit être ramené à la vie, restaurer ou ressusciter.

Dans un nouvel ouvrage, Knowledge Production and Contradictory Functions in African Higher Education [1], Nico Cloete et Peter Maassen résument les quatre fonctions fondamentales de l’université décrites par Manual Castells : « produire des valeurs et de la légitimation sociale ; sélectionner les élites dominantes ; former la force de travail ; produire des connaissances scientifiques et favoriser leur mise en œuvre dans la société » [2].

La fonction de recherche est négligée

Dans le contexte africain, à l’époque de la domination coloniale, qui se caractérisait par un modèle économique d’extraction et d’exploitation, l’enseignement supérieur n’était pas considéré comme un « ajout de valeur ». Dans la période postcoloniale, l’université était importante aux yeux des jeunes nations africaines indépendantes pour constituer les élites et assurer la formation professionnelle de la force de travail.

De son côté, l’aide au développement, comme l’illustrent les « prescriptions de politique » de la Banque mondiale en matière d’enseignement supérieur, n’intègre pas la production de connaissances nouvelles dans les fonctions de l’université en Afrique.

Et lorsque les organismes donateurs internationaux ont commencé à envisager l’importance de l’université dans le développement, l’aide s’est principalement axée sur une assistance directe au développement (communautaire).

L’enseignement supérieur en Afrique s’est alors engagé dans une logique qui privilégiait , selon la typographie des fonctions de l’université, la formation des élites et celle de la force de travail. En parallèle, la production de connaissances scientifiques et leur mise en application dans la société étaient laissées de côté.

La revitalisation implique-t-elle qu’il faille insuffler une nouvelle vitalité aux systèmes universitaires dans lesquels la fonction de « génération de nouvelles connaissances » est la plus touchée par le sous-développement et l’insuffisance des résultats ?

Rapports consacrés à la revitalisation

Il est intéressant de noter que la plupart des rapports consacrés aux programmes de revitalisation ont été rédigés en prévision d’événements majeurs organisés à l’initiative des donateurs, notamment le sommet du G8 de Gleneagles en 2005 et la Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur de l’UNESCO de 2009.

Pour le sommet de Gleneagles, l’agence du NEPAD, qui dépend de l’Union africaine, a préparé en 2005 un rapport intitulé Renewal of Higher Education in Africa [3] ; pour la conférence de l’UNESCO, il y a eu le rapport de projet de l’Université des Nations Unies Revitalising Higher Education in Sub-Saharan Africa [4] et l’article de Barney Pityana « The Revitalisation of Higher Education: Access, equity and quality » [5], publié en 2009.

Aucune évaluation systématique des résultats de ces appels à la revitalisation n’a été entreprise.

Mais dans un tour d’horizon de la dimension du don public en Afrique, MM. Maassen et Cloete (2010) [6] notaient que, si le sommet du G8 avait certainement recentré l’attention sur l’Afrique, l’engagement renouvelé du groupe était loin de faire l’unanimité : non seulement une partie du gouvernement britannique avait réagi de façon négative, mais des agences, notamment les Envoyés spéciaux des Nations Unies pour le sida et le Fonds monétaire international, avaient critiqué plusieurs propositions.

Sur la question de l’enseignement supérieur en particulier, deux des documents les plus importants qui devaient être publiés en marge du sommet du G8 étaient le Plan d’action pour l’Afrique et le Rapport de la Commission pour l’Afrique.

Le Plan d’action pour l’Afrique portait essentiellement sur le développement des capacités de recherche et d’enseignement supérieur ainsi que des technologies de l’information et de la communication.

Demandes de soutien

Le rapport de la Commission pour l’Afrique identifiait quatre priorités pour le secteur : les compétences professionnelles, les infrastructures physiques, les ressources humaines et les capacités de recherche.

Il appelait en particulier à la création de deux fonds : l’un de 500 millions USD pour la revitalisation des instituts d’enseignement supérieur d’Afrique, et l’autre de 3 milliards USD pour le renforcement des capacités dans les domaines scientifique, technique et technologique.

Sur l’appel de fonds de 500 millions USD, seuls 10 millions attribués par le ministère britannique du développement international (DFID – Department for International Development) à l’Association des universités africaines au cours de l’année 2006 peuvent être perçus comme une conséquence directe du sommet du G8.

Mais un véritable changement intervenait au sein du DFID qui, en réponse aux Objectifs du Millénaire pour le développement et à l’enthousiasme du premier ministre britannique lors du G8, abandonnait enfin son soutien pour le moins servile à la politique désuète de la Banque mondiale de ne pas renforcer l’enseignement supérieur, longtemps après que la Banque elle-même eut renoncé à cette position.

Quant à la Conférence mondiale de l’UNESCO, le résultat le plus positif en fut la reconnaissance unanime de l’importance de l’enseignement supérieur exprimée par un groupe de 16 ministres africains de l’Éducation lors d’une réunion préalable sur le thème : « Nouvelles dynamiques pour l’enseignement supérieur et la recherche : les stratégies de changement et de développement ».

On pourrait arguer que le terme « nouvelles dynamiques » constitue une avancée considérable par rapport à celui de « revitalisation ».

Dans un compte rendu de la réunion, Karen MacGregor (2009) [7] notait que les ministres « [avaient] appelé à une amélioration du financement des universités et à la création d’un fonds de soutien pour renforcer la formation et la recherche dans des domaines clés ».

Et plus important peut-être, Mme MacGregor rapportait que les participants étaient pleinement conscients du rôle moteur que le savoir devait jouer dans le développement et qu’ils insistaient sur la réforme des systèmes d’enseignement supérieur.

Ironie du sort, peu de temps après s’être engagée à mettre davantage l’accent sur le renforcement de l’enseignement supérieur à la Conférence mondiale, l’UNESCO elle-même dévaluait le statut de l’enseignement supérieur en le fusionnant à l’enseignement général au sein même de ses structures.

Depuis lors, cette réorganisation a donné peu de résultats et la direction de la structure est même restée vacante pour l’essentiel de l’année 2014.

Des résultats décevants

Les deux processus de revitalisation présentés plus haut ont fonctionné de façon très différente, mais ont chacun abouti à des résultats décevants.

Le sommet de Gleneagles réunissait les chefs d’État et de gouvernement des huit premières puissances économiques mondiales ainsi que le groupe élargi (marginal) de 20 pays dont faisait partie l’Afrique du Sud.

La Conférence mondiale de l’UNESCO, quant à elle, a attiré des participants de plus de 150 pays. Parmi eux figuraient des hommes politiques, mais globalement, il s’agissait avant tout d’un événement universitaire dirigé par un solide comité scientifique. La conférence a débouché sur un communiqué [8] formulant 50 recommandations pour un programme mondial en matière d’éducation.

Les 10 résolutions finales portaient sur l’Afrique et plus particulièrement sur la qualité, la création d’un espace d’enseignement supérieur, l’accès, les programmes, le financement et la gouvernance. Le communiqué se concluait par un long « appel à l’action » de la part des États membres et de l’UNESCO.

Parmi ces 50 propositions, notons que le communiqué consacrait six points vagues à l’« apprentissage de la recherche et de l’innovation », plutôt qu’à la pratique de ces deux disciplines.

Que la recherche ne soit pas même mentionnée dans les résolutions relatives à l’Afrique est assez « fanonien » : les universitaires, y compris les Africains parmi eux, avaient intériorisé l’idéologie dominante de l’aide au développement selon laquelle la production de nouveaux savoirs ne constituait pas une fonction centrale de l’université en Afrique.

Plutôt que des intentions, un processus inspiré de Bologne

Outre des résultats décevants, les deux processus partagent le même défaut rédhibitoire : le G8 comme l’UNESCO ne sont pas des agences de mise en œuvre et ont pour seule vocation de prendre des résolutions (faites d’intentions).

Le processus de Bologne engagé par l’Union européenne reposait sur une conception très différente et sans doute beaucoup plus fructueuse.

Sur la base des rapports d’experts de l’enseignement supérieur dénonçant une segmentation obsolète et nuisible du secteur de l’enseignement supérieur européen et prônant l’adoption d’une approche audacieuse pour renforcer la compétitivité de ce secteur et favoriser la mobilité des étudiants et leur accès à l’emploi, quatre ministres en charge de l’enseignement supérieur (français, allemand, italien et britannique) signèrent la déclaration de la Sorbonne en mai 1998 à Paris.

Ce document de deux pages renfermait une seule idée, celle d’un espace européen ouvert pour la formation supérieure, et décrivait succinctement quelques-unes des caractéristiques possibles d’un tel système.

Le lancement d’un processus volontaire menant à la création de l’Espace européen de l'enseignement supérieur fut formalisé l’année suivante par les ministres de 30 pays avec la déclaration de Bologne (1999).

Et c’est justement la grande différence avec le sommet du G8 et la conférence de l’UNESCO : d’abord 30, puis 47 ministres et leur cabinet, bénéficiant d’un large soutien dans les milieux universitaires (en dépit d’une proportion habituelle de sceptiques) s’engagèrent « de plein gré » dans un processus sous-tendu par le développement des cadres de certification nationaux et européens.

Ces cadres visaient à établir un système clairement défini et facile à comprendre pour les étudiants, les institutions et les employeurs, le processus étant, évidemment, guidé par Bruxelles.

Le processus de Bologne et l’établissement du Conseil européen de la recherche, collaboration unique entre un groupe indépendant d’universitaires de renommée mondiale et une agence bruxelloise, avec une dotation de 630 millions EUR (714 millions USD) en 2015, sont les deux réformes les plus percutantes que l’enseignement supérieur européen ait connues ces vingt dernières années.

L’Afrique doit cibler son action

La question qui doit être posée à l’occasion du Sommet sur l’enseignement supérieur en Afrique est la suivante : aboutira-t-il à une liste de 50 vœux et d’innombrables appels à l’action ?

Ou ciblera-t-il une seule problématique, par exemple le fait que l’Afrique ne compte pas suffisamment de grandes universités de recherche capables de produire de nouveaux savoirs qui s’inscrivent dans l’économie mondiale de la connaissance et contribuent au développement du continent ?

Une seconde interrogation en découle : qui pilotera cette initiative ? Le sommet devra alors étudier comment répondre effectivement à un problème central, et déterminer le rôle des universités (dirigeants et universitaires), des États et des organismes donateurs internationaux dans la mise en œuvre d’une solution.

* Nico Cloete est directeur du centre pour la transformation de l’enseignement supérieur (CHET) et coordonnateur du réseau de recherche et de promotion de l’enseignement supérieur en Afrique (HERANA) ; professeur extraordinaire à l’institut des études postscolaires de l’université du Cap-Occidental en Afrique du Sud ; professeur extraordinaire au pôle d’excellence DST-NRF en scientométrie et politique scientifique, technologique et d’innovation à l’université Stellenbosch en Afrique du Sud ; et chercheur honoraire à l’Université du Cap, en Afrique du Sud.

Références
1- Cloete N. et Maassen P. (2015) « Roles of universities and the African Context », in N. Cloete, P. Maassen et T. Bailey (éd.), Knowledge Production and Contradictory Functions in African Higher Education. Le Cap : African Minds.
2- Castells M. (1993) « The University System: Engine of development in the new world economy », in A. Ransom, S.-M. Khoo et V. Selvaratnam (éd.), Improving Higher Education in Developing Countries. Washington DC : La Banque mondiale, pp. 65-80.
3- Union africaine -NEPAD (2005) Renewal of Higher Education in Africa. Rapport de l’atelier UA-NEPAD, 27-28 octobre 2005, Johannesburg.
4- Université des Nations Unies (2009) Revitalising Higher Education in Sub-Saharan Africa. A United Nations University project report : http://archive.unu.edu/africa/files/U...cation.pdf
5- Pityana B. (2009) « The Revitalisation of Higher Education: Access, equity and quality » : http://www.unisa.ac.za/contents/about...0Jun09.pdf
6- Maassen P. et Cloete N. (2010) « Higher Education, Donor Organisations, Nation States and Development: The public donor dimension in Africa », in R.-M. Bassett et A. Maldonado-Maldonado (éd.), International Organisations and Higher Education Policy: Thinking globally, acting locally. New York : Routledge, pp. 251-279.
7- MacGregor K. (2009) « Africa: Call for higher education support fund ». University World News. Numéro 25 du 22 mars 2009.
8- UNESCO (2009) Communiqué de la Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur : Paris : UNESCO, 8 juillet 2009.