HAITI

L'enseignement supérieur haïtien frôlait le désastre bien avant le séisme
Bien avant que le tremblement de terre du 12 janvier dernier ne frappe Haïti, son système universitaire était déjà au plancher! Le pays n'avait pas de ministère consacré à l'éducation supérieure ni même d'organisme de financement de la recherche. 90 % de ses professeurs universitaires n'étaient pas titulaires d'un doctorat. Et 75 % de ses universités fonctionnaient sans accréditation gouvernementale.La situation des universités de ce pays était désastreuse bien avant que leurs murs ne s'effondrent, affirme George Haddad, directeur de la Division de l'enseignement supérieur de l'UNESCO, au cours d'une entrevue avec University World News, tenue à l'occasion de la rencontre organisée par l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF).
En effet, le séisme a beau avoir tué de nombreux membres de la communauté universitaire, fait disparaître un grand nombre de salles de classe et réduit à néant bibliothèques et laboratoires, la reconstruction des universités haïtiennes - thème de la récente rencontre de deux jours à Montréal - est apparue aux yeux de certains comme un concept trompeur, car avant le séisme, le système universitaire haïtien ne correspondait en aucune manière aux normes auxquelles s'attendent la plupart des nations à l'égard de leurs établissements d'éducation supérieure.
Jean-Vernet Henry, recteur de l'Université d'État d'Haïti - 25 000 étudiants - reconnaît aisément que son établissement manquait dramatiquement de ressources. « Nous ne recevions aucun fonds public pour la recherche : aucun financement pour la recherche fondamentale, ni même d'ailleurs pour la recherche appliquée. » La faculté d'agriculture et de médecine vétérinaire avait bien quelques partenaires qui aidaient à financer son fonctionnement ; malheureusement l'établissement a été détruit par le tremblement de terre.
L'origine du piètre état du secteur de l'éducation supérieure en Haïti remonte au 19e siècle - et cette situation s'est poursuivie jusqu'au milieu du 20e siècle - alors que l'élite du pays rejetait les efforts visant à établir des universités locales, choisissant plutôt d'aller étudier en Europe. Durant l'ère Duvalier, les emplois universitaires étaient attribués par favoritisme ; le clergé contrôlait en outre une bonne part du système d'éducation.
Les années qui ont suivi le renversement de Duvalier en 1986 ont vu le nombre d'inscriptions dans les universités haïtiennes littéralement explosé. Il y a bien eu également une augmentation du nombre d'établissement, mais la plupart se sont cantonnés à un niveau médiocre.
Critique - ou lucide ! - l'AUF a profité de cette rencontre de Montréal pour rendre public un document qui expose crûment certaines caractéristiques du système universitaire haïtien pré-séisme :
- en moyenne, un professeur universitaire gagne moins qu'une poseur de briques;
- seulement 11 % des enseignants universitaires d'Haïti sont titulaires d'un doctorat;
- seulement deux professeurs dans tout le pays ont les qualifications requises pour superviser une thèse de doctorat;
- plus de 15 000 Haïtiens sont inscrits dans des universités de la République dominicaine;
- le gouvernement ne consacre que 0,4 % de son budget à l'éducation supérieure;
- parmi les 200 établissements d'éducation supérieure que compte Haïti, seulement 47 peuvent délivrer des diplômes approuvés par le gouvernement.
Il n'en reste pas moins que bon nombre de personnes en Haïti reconnaissent - malgré tout - la valeur du peu que constituent, en l'état, les universités haïtiennes. Dans le cadre de l'effort de reconstruction, il y a tout lieu d'espérer que le gouvernement emboîtera le pas.
De même, grâce à cette vaste mobilisation, l'AUF espère pour sa part faire servir à Haïti les réseaux étendus d'expertise de l'UNESCO en éducation supérieure.
Le recteur de l'AUF, Bernard Cerquiglini, qui a rencontré René Préval en avril 2009, affirme que le président haïtien s'était dit ouvert aux changements proposés par son organisation, y compris la création d'un ministère voué à l'éducation supérieure.
« Il a indiqué que c'était formidable pour l'enseignement supérieur. Par contre, neuf mois plus tard, notre bureau était en ruines. » Depuis, les bureaux de l'AUF à Port-au-Prince ont été relocalisés.
Traduit par Simon Hébert